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22 août 2015 6 22 /08 /août /2015 19:20
Ressources inhumaines, de Frédéric Viguier, un roman sur la dépersonnalisation

Quand on commence Ressources inhumaines, de Frédéric Viguier, on pense naturellement aux scènes du Film La loi du marché de Stéphane Brizé, qui se passe dans un hypermarché, et qui a valu à Vincent Lindon la palme d'or au festival de Cannes. La façon dont une employée est mise à pied cruellement pour une raison futile y semble d'emblée assez comparable. On se dit également qu'il est bien normal que l'art s'empare de ce lieu hautement présent dans nos vies contemporaines et plutôt assez absent de la littérature jusqu'à présent, d'où le récent texte d'Annie Ernaux qui s'en saisissait également dans "Regarde les lumières mon amour".

Mais on se rend vite compte de la singularité du roman de Frédéric Viguier, qui à mon sens, dépasse l'entreprise stricte du roman réaliste, et nous parle de façon saisissante d'un sujet plus existentiel: la vacuité volontaire d'un personnage qui décide de se laisser porter par la vie et ses opportunités. Il est beaucoup question de poches qui se remplissent, dans ce livre, comme si "elle" (car l'héroïne n'a pas de nom...) n'était qu'une poche vide qui cherche à se remplir.

N'allez pourtant pas prendre pour une simplette cette petite stagiaire ravissante, qui n'hésite pas à recourir à la "promotion canapé" pour grimper fissa les échelons du magasin en donnant à tous l'impression "d'avoir tout compris", alors qu'elle n'obéit qu'à ses instincts - comme une sorte de prédatrice naïve, marionnette dérisoire de notre civilisation fondée sur les apparences. En fin de chapitre, des pensées du personnage en italiques apportent un point de vue distancé sur ce qu'elle ressent, beaucoup plus complexe que ce que les autres en perçoivent.

La jolie armure de protection de notre héroïne anonyme, qui se croyait invincible, se fissure donc quand elle rencontre "lui", "l'autre", un personnage masculin qui est un peu son antithèse, aussi humain qu'elle se refuse à l'être. "Il est bien connu que les contraires s'attirent", comme elle le dirait sans doute, elle qui aime tant s'exprimer par dictons: mais le rapprochement dangereux risque bien de faire exploser tout un système.

Le style sec de Frédéric Viguier a quelque-chose d'implacable, à l'image des verbes au futur qu'il aime utiliser, rares dans un roman, et qui annoncent, comme dans une tragédie, ce qui va arriver, en romancier super-omniscient. Ce surplomb troublant de l'écrivain par rapport à son personnage fait penser à celui des cadres sur les employés de l'hypermarché depuis la coursive... Et au dessus de la coursive, "il n'y a rien"...

Bref, j'ai beaucoup aimé la complexité de ce roman qui nous parle du vide d'aujourd'hui de façon glaçante, mais pas de façon simpliste.

Ce roman a été lu dans le cadre de l'opération "68 premières fois" coordonnée par Charlotte Milandri. Vous trouverez d'autres blogs qui parlent aussi très bien de ce roman:

Celui du "petit carré jaune"

Arthémiss

"Biffures chroniques"

Les lectures de Martine

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  • : Effleurer une ombre
  • : Je suis conne comme la lune sans soucis, comme la lune béate qui luit à l'automne, et offre le sourire de sa face blême aux moutons rêveurs, aux filles endormies. Je suis pomme, en somme, et de ce mauvais fruit, sais-tu? La gloire des campagnes monotones (Par qui Dieu sur Eve jeta l'anathème jadis) pleine d'asticots et toute pourrie. Je suis vache mystique des champs nivernais, mâchouillant ma vie végétale dans la paix. Le temps passe, je rumine, bovine herboriste.
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