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15 janvier 2016 5 15 /01 /janvier /2016 18:59
Echenoz s'amuse

Et j’applaudis des deux mains. Quoi de mieux, pour vous réchauffer, en ce mois froid et fatigué, qu’une lecture qui vous fait autant rire ? Bravo pour cette inventivité désopilante, ce jeu constant avec les clichés du romanesque d’espionnage, l’ironie du conteur vis-à-vis de sa propre omniscience exhibée. Le romancier se montre lui-même en train de jouer avec les ficelles de ses personnages marionnettes, mais auxquels on s’attache tout de même, mélangeant James Bond et Tontons Flingueurs…

Je suis archi bonne cliente de sa prose élégante et virtuose et moi je préfère Echenoz quand il joue avec ses personnages en perdition dans des intrigues absurdes plutôt que quand il donne dans le minimalisme froid et biographique, même si je n’ai pas boudé Courir, Ravel, etc… Là, la démarche est strictement inverse : autant dans son cycle biographique il gommait complètement les traces du romanesque dans une démarche presque ascétique, autant dans ce roman les ficelles du marionnettiste font partie du spectacle. Et ses phrases de narrateur ayant un peu forcé sur la dose de coïncidences ne sont pas les moins drôles du livre. Ce qui est fort, c’est que comme il l’écrit à la fin, même s’il s’est moqué de ses propres personnages et de leur statut si évidemment fictionnel, on s’y est attaché tout de même. J’aime ça, le fait qu’il nous répète que ce sont des fantoches, que ce roman n’est qu’un jeu, mais qu’on le prend assez au sérieux tout de même pour qu’on s’intéresse à leur destin complètement improbable. Il s’agissait peut-être de ce défi pour le romancier : jusqu’où peut-il aller dans le n’importe quoi, dans l’énormité des coïncidences et du romanesque de rencontre, tout en nous scotchant assez, , pour que nous le suivions malgré tout dans ces méandres ? C’est un roman qui fait réfléchir à la puissance de la fiction romanesque et à son côté addictif, puisqu’il peut nous entraîner dans des réalités loufoques sans que le sort de ces personnages de série B nous soit indifférent.

Le roman est émaillé de multiples détails savoureux. Qu’il nous évoque les poissons d’un restaurant chinois un peu miteux dans leur aquarium (qui n’ont pas de nom car ils n’ont pas d’oreilles, nous révèle le dialogue entre le client et le patron dont je ris encore…) ou une interview de Pierre Michon sur France 24 regardée en Corée du Nord par une Mata-Hari contemporaine… c’est pour moi un vrai bonheur. Parfois il s’agit juste du choix d’un adjectif, si bien trouvé, au coin d’une phrase, qu’il vous prend par surprise : alors vous ne pouvez qu’afficher ce sourire heureux de la lectrice comblée.

J’ai bien une réserve : je vois bien qu’il s’agit d’une parodie d’un genre en soi, mais pourquoi toutes les femmes sont-elles des jouets sexuels ? Vous me direz que là-dedans, les hommes non plus ne s’illustrent pas particulièrement par leur brio, mais alors, les femmes…. Aïe aïe aïe. Ce monde du roman noir revisité à la sauce absurde est fait de secrétaires sexys et idiotes, et les femmes les plus intelligentes sont au choix coiffeuse ou femme entretenue – tandis que les hommes sont chanteurs à succès sur le retour, général en retraite, chauffeur ingénieux ou fonctionnaires du ministère de la Défense. Voyons-y une dénonciation du rôle des femmes dans les fictions populaires… D'ailleurs l'image de notre monde, à travers ce livre, si drôle soit-il, est finalement assez désespérée. La politique internationale a besoin de bonnes dictatures pour son équilibre, et l'amour ne dure pas...

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commentaires

F
Merci pour vos commentaires! Cela m'encourage à poursuivre ces petites chroniques. Bien cordialement,<br /> <br /> Françoise Cahen
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L
Et vivent les "secrétaires sexys et idiotes", et les plus brillantes d'entre elles, coiffeuses ou femmes entretenues du moment qu'elles nous apportent un aussi beau moment de lecture joyeuse ! Après tout, est-ce beaucoup plus brillant en salle des profs? C'et assurément moins marrant ;-).<br /> Merci pour ces bons conseils de lecture, fort habilement mis en musique par vos soins; évidemment, j'attends une suite. <br /> Votre potentiellement futur fidèle lecteur,<br /> Jean
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L
BREF, le Echenoz nouveau est un petit bijou d'humour, de créativité et d'écriture (rien de nouveau sur ce dernier plan). Mais reportez - vous plutôt à la critique de Françoise Cahen sur ce site, qui ira mieux l'affaire que je ne saurais le faire. Et il ne m'a pas semblé que dans la dénonciation des stéréotypes ordinaires(pléonasme), les hommes y soient beaucoup mieux traités que les femmes : le match en nullité y est très disputé et poussé jusqu'à la séance finale des pénaltys qu'affectionne votre ami Toussaint. .
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L
Effroyable suspense que ces trois points de suspension, à la façon de tous ces titres de news affichés en page d’accueil d’orange.fr et sensés susciter la curiosité du lecteur et l’inviter à cliquer pour en savoir plus! <br /> Dans les faits, il y a trois mois j’ai acheté un micro – ordinateur pourri qui a pour fâcheuse habitude de n’enregistrer qu’une partie des lettres que je tape dans mes méls, ce qui a vite fait de hérisser mon impatience naturelle (apparemment, cet ordi déteste les voyelles - la catégorie féminine de l'alphabet, n'es - ce pas?) , qu’il passe trop souvent à la trappe). Cette sale affaire m’aura au moins appris à désinstaller et réinstaller complètement un micro, sauf que même cette extrême - onction là n’aura en rien amélioré les performances de mon ouistiti. Bref, vous l’aurez compris : j’ai interrompu mon précédent message non par prétention de le rendre plus intéressant (les messages sur Linkedin semblent victimes du même ostracisme que sur la messagerie d’orange.fr), mais tout simplement pour poursuivre sur Word … en espérant que Linkedin m’offrira ensuite la possibilité d’un copier/coller intégral. (parvenu à ce stade du message, je m’interromps à nouveau pour tester le copier/coller de Linkedin)
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L
Bonsoir Françoise,<br /> <br /> Once upon a time, nous échangeâmes sur ce réseau (n'étiez-vous pas la fille de ce Cahen Principal de collège à Thiais 94 où je sévis pendant un an? La sœur de son polytechnicien de fils, aussi?). Mais non, vous n'étiez point. Et apparemment, LinkedIn enregistra nos échanges puisqu'il y a environ trois semaines ce réseau me proposa de me connecter à vos derniers messages. C'est là que je pris connaissance de votre critique enthousiasmée et enthousiasmante du dernier Echenoz, "Envoyée spéciale". Avant de me ruer en librairie acheter ce roman, je subtilisai en médiathèque le roman "Football" de J.P Toussaint (Echenoz n'était pas en rayons Après tout, vous n m'aviez pas paru tout à fait stupide lors de nos brefs échanges antérieurs, voire assez passionnée par la lecture. Tiens, "Football" était un peu plus inspiré que le "Faire l'amour" (ce titre de mémoire) du même auteur, qu'il m'avait été demandé de lire (un passage de deux pages uniquement) en guise d'entraînement lors d'un stage de lecture à haute voix (été 2013). Votre em- ballement pour Echenoz méritait donc peut-être vérification? A 18,50 €, l'affaire ne s'annonçait de toute façon pas bien ruineuse ; j'achetai donc "Envoyée spéciale " il y a une dizaine de jours...
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Présentation

  • : Effleurer une ombre
  • : Je suis conne comme la lune sans soucis, comme la lune béate qui luit à l'automne, et offre le sourire de sa face blême aux moutons rêveurs, aux filles endormies. Je suis pomme, en somme, et de ce mauvais fruit, sais-tu? La gloire des campagnes monotones (Par qui Dieu sur Eve jeta l'anathème jadis) pleine d'asticots et toute pourrie. Je suis vache mystique des champs nivernais, mâchouillant ma vie végétale dans la paix. Le temps passe, je rumine, bovine herboriste.
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