Et j’applaudis des deux mains. Quoi de mieux, pour vous réchauffer, en ce mois froid et fatigué, qu’une lecture qui vous fait autant rire ? Bravo pour cette inventivité désopilante, ce jeu constant avec les clichés du romanesque d’espionnage, l’ironie du conteur vis-à-vis de sa propre omniscience exhibée. Le romancier se montre lui-même en train de jouer avec les ficelles de ses personnages marionnettes, mais auxquels on s’attache tout de même, mélangeant James Bond et Tontons Flingueurs…
Je suis archi bonne cliente de sa prose élégante et virtuose et moi je préfère Echenoz quand il joue avec ses personnages en perdition dans des intrigues absurdes plutôt que quand il donne dans le minimalisme froid et biographique, même si je n’ai pas boudé Courir, Ravel, etc… Là, la démarche est strictement inverse : autant dans son cycle biographique il gommait complètement les traces du romanesque dans une démarche presque ascétique, autant dans ce roman les ficelles du marionnettiste font partie du spectacle. Et ses phrases de narrateur ayant un peu forcé sur la dose de coïncidences ne sont pas les moins drôles du livre. Ce qui est fort, c’est que comme il l’écrit à la fin, même s’il s’est moqué de ses propres personnages et de leur statut si évidemment fictionnel, on s’y est attaché tout de même. J’aime ça, le fait qu’il nous répète que ce sont des fantoches, que ce roman n’est qu’un jeu, mais qu’on le prend assez au sérieux tout de même pour qu’on s’intéresse à leur destin complètement improbable. Il s’agissait peut-être de ce défi pour le romancier : jusqu’où peut-il aller dans le n’importe quoi, dans l’énormité des coïncidences et du romanesque de rencontre, tout en nous scotchant assez, , pour que nous le suivions malgré tout dans ces méandres ? C’est un roman qui fait réfléchir à la puissance de la fiction romanesque et à son côté addictif, puisqu’il peut nous entraîner dans des réalités loufoques sans que le sort de ces personnages de série B nous soit indifférent.
Le roman est émaillé de multiples détails savoureux. Qu’il nous évoque les poissons d’un restaurant chinois un peu miteux dans leur aquarium (qui n’ont pas de nom car ils n’ont pas d’oreilles, nous révèle le dialogue entre le client et le patron dont je ris encore…) ou une interview de Pierre Michon sur France 24 regardée en Corée du Nord par une Mata-Hari contemporaine… c’est pour moi un vrai bonheur. Parfois il s’agit juste du choix d’un adjectif, si bien trouvé, au coin d’une phrase, qu’il vous prend par surprise : alors vous ne pouvez qu’afficher ce sourire heureux de la lectrice comblée.
J’ai bien une réserve : je vois bien qu’il s’agit d’une parodie d’un genre en soi, mais pourquoi toutes les femmes sont-elles des jouets sexuels ? Vous me direz que là-dedans, les hommes non plus ne s’illustrent pas particulièrement par leur brio, mais alors, les femmes…. Aïe aïe aïe. Ce monde du roman noir revisité à la sauce absurde est fait de secrétaires sexys et idiotes, et les femmes les plus intelligentes sont au choix coiffeuse ou femme entretenue – tandis que les hommes sont chanteurs à succès sur le retour, général en retraite, chauffeur ingénieux ou fonctionnaires du ministère de la Défense. Voyons-y une dénonciation du rôle des femmes dans les fictions populaires… D'ailleurs l'image de notre monde, à travers ce livre, si drôle soit-il, est finalement assez désespérée. La politique internationale a besoin de bonnes dictatures pour son équilibre, et l'amour ne dure pas...