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28 mars 2016 1 28 /03 /mars /2016 15:29
Et si l’essentiel était dans la marge ?

Tombeau de Pamela Sauvage, un roman génialement étonnant de Fanny Chiarello

J’ai été attirée par sa jolie couverture verte et rouge et par le petit mot aguicheur du libraire Delamain sur la pile. L’auteure, Fanny Chiarello, j’en avais entendu parler en bien, mais je n’avais encore rien lu d’elle.

Lisez ce roman et vous en lirez plusieurs en un seul, tellement le dispositif en est ingénieux. La romancière inverse le rapport entre notes de bas de pages et texte romanesque. En haut des pages, le récit : chaque chapitre s’attache à un personnage qui vit de nos jours, comme un petit portrait indépendant, formant une guirlande d’individus, hommes et femmes, plutôt solitaires et singuliers, reliés les uns aux autres, à la façon « Marabout/Bout de ficelle » par un détail à la fin de chaque petite nouvelle. Cette structure en guirlande formant un réseau social original m’a fait penser à Vernon Subutex de Virginie Despentes, où les chapitres font se succéder les personnages différents. La succession de leurs vies vite chassées les unes par les autres au fil des pages – et la facilité dérisoire avec laquelle certains meurent- semble nous parler de l’interchangeabilité de nos vies, de la vanité de nos petites préoccupations. Temps qui passe, littérature, culture, solitude en sont les thèmes récurrents.

Les notes de bas de page omniprésentes ont été établies par une sorte d’historien érudit vivant dans un futur lointain, alors que notre civilisation a complétement disparu. Elles prennent des proportions au point de dominer parfois par rapport au texte dit « principal », comme dans certaines thèses universitaires très savantes. Et surtout elles dessinent une autre histoire. Par une sorte d’effet « négatif photo », vous lisez alors dans ces notes une véritable dystopie, qui se dessine peu à peu, car en commentant à l’attention des gens du futur notre propre civilisation, la romancière fait déduire au lecteur ce qui s’est installé à notre place : une nouvelle civilisation où la littérature et tous les arts ont disparu, un monde effrayant et totalitaire qui ne supporte ni les microbes ni les disparités entre les individus, un monde sans nature où règne une grande pauvreté. Cela rend certes la lecture du livre un peu compliquée : on ne sait pas toujours dans quel ordre lire le texte du haut et les notes de bas de page, mais j’ai trouvé cette perturbation vraiment amusante et même salutaire. Le dispositif de ce livre délinéarise complètement le roman, en fait un objet littéraire nouveau, inédit.

Mais, j’ai beaucoup aimé également (triple effet « kiss cool ») le côté « Lettres Persanes » de ce roman : les notes de bas de pages, en dehors de la dystopie qu’elles racontent indirectement, permettent d’afficher un regard distancié sur nos propres pratiques, dont les définitions venues du futur nous apprennent à relativiser les valeurs. A travers elles, ce roman a aussi tout une dimension critique et dépasse le simple effet de style brillant : c’est la littérature d’aujourd’hui, l’esthétique, le monde du travail, etc, qui sont alors dépeints avec une distance amusante. C’est d’ailleurs une manière très maligne de rendre l’apparente insignifiance de notre propre monde et ses absurdités beaucoup plus attachantes.

J’ai bien conscience que mon article peut donner de ce livre l’image de quelque-chose de complexe qui serait fait uniquement pour les gourmets. Pourtant, il y a beaucoup de petites histoires qui peuvent se savourer lentement, avec de vrais personnages pittoresques et réalistes, comme des nouvelles indépendantes de qualité, et malgré sa sophistication, ce livre n'a rien de prétentieux.

Bref, j'adore!

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  • : Effleurer une ombre
  • : Je suis conne comme la lune sans soucis, comme la lune béate qui luit à l'automne, et offre le sourire de sa face blême aux moutons rêveurs, aux filles endormies. Je suis pomme, en somme, et de ce mauvais fruit, sais-tu? La gloire des campagnes monotones (Par qui Dieu sur Eve jeta l'anathème jadis) pleine d'asticots et toute pourrie. Je suis vache mystique des champs nivernais, mâchouillant ma vie végétale dans la paix. Le temps passe, je rumine, bovine herboriste.
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