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22 octobre 2017 7 22 /10 /octobre /2017 15:11

Une usine bretonne d'abattage de poulets est encerclée par les CRS: les ouvriers en grève et à bout retiennent en otage le secrétaire d'état à l'industrie venu leur rendre visite.

Rien n'est simple, dans Des Châteaux qui brûlent d'Arno Bertina: qui est l'ennemi?  Les CRS? Le secrétaire d'état qu'on a réussi à séquestrer, ce Montville qui ressemble tant à Montebourg? Le préfet? L'Etat? Le chômage? La mondialisation? Les actionnaires? Le social-traitre? L'industrialisation générale du secteur alimentaire? Les tensions et les doutes entre les salariés eux-mêmes?  "Ne pas se tromper d'ennemi" et savoir l'identifier est l'un des problèmes-clés du livre. La complexité du monde est telle qu'il est difficile pour les salariés de cette usine d'abattage et de transformation de volailles d'identifier les responsables de leur débâcle, l'objet véritable de leur révolte...avant même de chercher des solutions.

 Mais ce roman est terriblement vivant, et ce qui s'invente au jour le jour dans leur insurrection est fait de toutes ces hésitations, ces interactions, ces espoirs mêlés de doutes, chacun essayant de trouver la meilleure des issues au conflit. Les tensions sont multiples, car elles existent bien sûr entre l'intérieur de l'usine et le siège extérieur, mais elles sont aussi très importantes entre les salariés. Quant au gouvernement, il ne se montre pas très solidaire de Montville -qui se révèle être lui-même le plus exalté des insurgés..

Ce roman polyphonique d'Arno Bertina est dans sa structure même révolutionnaire, puisque dans la première partie les voix des ouvriers assument seulement 2 chapitres sur 6,  alors que la fin du roman inverse complètement le rapport de force narratif: l'identité de la voix ministérielle se dilue même dans celle du prolétariat... ou presque.

Personne n'est réductible à sa fonction, à son rôle social, chacun des personnages est unique, composite, déchiré, et appréhende comme il peut la réalité, pour essayer d'agir à sa manière. Le roman laisse aussi une place originale à cette "petite voix" qui s'exprime en arrière plan dans la conscience des personnages successifs, dans des encarts à la typographie plus resserrée. 

"Quand vous ne croyez pas en vos idées, à l'intelligence des envies, vous faites qu'obéir, vous rentrez dans le rang. Vous validez ce que pensent des foules toutes les oligarchies, ce qu'elles pensent du peuple; vous validez le malheur qui vous accable et les fait jouir, eux." (p.360) J'ai beaucoup aimé ce roman très politique, mais très humain aussi, qui voit une issue aux problèmes dans l'humour, la poésie de l'inattendu (transport de poulets en montgolfière au dessus de l'autoroute, majorettes sur le toit d'un bus..), la création collective.

J'ai perçu dans ce roman certains points communs avec Vernon Subutex : l'idée de groupe est au centre du livre. C'est à la fois très fort (on parle aussi à un moment de "secte" comme pour le roman de Despentes) et très fragile, menacé par la violence, mais capable de beaux moments de communion très exaltants.

Bref, je vous conseille ce roman et j'ai envie de lire d'autres oeuvres de cet auteur que je découvre.

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  • : Effleurer une ombre
  • : Je suis conne comme la lune sans soucis, comme la lune béate qui luit à l'automne, et offre le sourire de sa face blême aux moutons rêveurs, aux filles endormies. Je suis pomme, en somme, et de ce mauvais fruit, sais-tu? La gloire des campagnes monotones (Par qui Dieu sur Eve jeta l'anathème jadis) pleine d'asticots et toute pourrie. Je suis vache mystique des champs nivernais, mâchouillant ma vie végétale dans la paix. Le temps passe, je rumine, bovine herboriste.
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